Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Electron sauvage
20 mars 2017

Pourquoi nous devons réinventer la monnaie

Monnaie du prince, monnaie spéculative, monnaie inscrite dans le temps... ici nous ajoutons de la monnaie à la monnaie quand d'autres ajoutaient du temps au temps. Faut-il donner à la monnaie une profondeur ou doit-on plutôt lui faire couvrir des territoires en deux dimensions? La monnaie unique n'est-elle pas de ce genre qui calcule son efficacité sur la base de son extension territoriale? Pourtant dans le précédent article n'a-t-on pas suggéré que la monnaie du prince, toute territoriale qu'elle est, s'inscrit dans un temps long par opposition à la monnaie du peuple dont la perspective temporelle n'est pas plus longue que la combustion d'une cigarette? Essayons de conserver la "loi" aristotélicienne des trois fonctions. Essayons de reconcevoir des systèmes monétaires qui extraient de cette loi des modes d'être de la monnaie. On ne reviendra pas sur le fait qu'à l'époque d'Aristote c'était à proprement parler un acte de foi que d'attribuer à quelque chose de parfaitement abstrait comme la monnaie, une fonction de transaction. On a montré que la monnaie n'était pas nécessaire pour le type de transactions auquel pensait le philosophe: le grand commerce. De fait, les grands empires de ce temps s'en étaient passés. En revanche, la fonction de transaction est essentielle pour notre temps. Nous sommes passés d'un univers de rareté monétaire à un univers totalement monétarisé. On oublie trop souvent que l'économie "capitaliste" du XIXème siècle pour ce qui touchait les particuliers avait gardé des traits "archaïques" de troc, d'échanges de biens consommables et de paiements décalés dans le temps. La monétarisation des sociétés occidentales est sous beaucoup d'aspects une conséquence de l'urbanisation c'est-à-dire d'un affaiblissement des espaces de confiance et de croyance qui autorisaient le troc et justifiaient la patience par l' exacerbation de la parcellisation des tâches et donc l'explosion des échanges entre agents économiques. Cette monétarisation a pris de nos jours une dimension phénoménale dans le sens où ce qu'on n'aurait jamais imaginé "tradable" il y a encore un quart de siècle, l'est devenu. Les secondes ont pris de la valeur, les temps libres sont vendables, la musique se vend à la durée de l'écoute, les voitures sont consommables sous forme de location, co-location, collabo-location etc... Le spectre des paiements n'a cessé de se décaler vers le bas depuis un siècle. Quand on ne pouvait pas imaginer acheter du sucre autrement que par sacs de plusieurs kilos, on peut facilement imaginer aujourd'hui qu'il est vendu à "l'unité" sous la forme de petits cubes. Là où les paiements de petits achats ne pouvaient être soldés qu'au bout d'une période longue afin que l'unité de monnaie utilisable rejoigne le montant d'unités de compte dû, il est devenu possible de payer instantanément des unités de compte infimes qui ne correspondent à aucune unité monétaire mais a des fractions non matérialisées. Cet univers-là, qui s'ouvre, béant sous nos yeux, ne devrait pas avoir de communauté monétaire avec celui des Etats et des grandes banques. Tout montre, les uns le chiffrent à 10%, les autres à 20%, que les monnaies en place ne servent que minoritairement les besoins des agents économiques de base: les particuliers et même une bonne part des entreprises. Les monnaies adaptées à ce type de transaction ont longtemps fait l'objet de tâtonnements. Le plus souvent, animées de belles pensées morales (et maintenant écologiques, évidemment) elles étaient bien représentées par les monnaies complémentaires. Il paraît aujourd'hui que l'essor des monnaies dites cryptées est une opportunité qui mériterait d'être saisie. Les monnaies cryptées s'appuyant sur des unités de compte particulières, peuvent sans coûts excessifs et dans des conditions de rapidité et de sureté assurer l'apurement des dettes et des créances de petits montants. Certaines études menées au nom de la mise en valeur du Bitcoin montrent que celui-ci est totalement adapté à des paiements fractionnaires du type un millième, un dix-millième de bitcoin. Le mode de fonctionnement des monnaies cryptées est intrinsèquement décentralisé, il est indépendant (c'est une question de principe) de tout autre système monétaire qu'il s'agisse d'une banque centrale ou d'un système de banques. Les monnaies cryptées ont d'autre part une très grande souplesse de fonctionnement au sens où elles ne se vivent pas elles-mêmes (malgré les tendances narcissiques du bitcoin) comme des monnaies "uniques" au sens "Euro" du terme. On sait qu'il existe environ 600 monnaies cryptées (dont des Scam moneys c'est-à-dire des arnaques !), on imagine qu'il n'est pas interdit de penser que des monnaies cryptées puissent être conçues sur une base territoriale, identitaire, professionnelle, transactionnelle. La notion de monnaie complémentaire peut aussi y trouver une dimension qui en général lui échappe: quitter le territoire et les liens du terroir pour trouver dans des dimensions autres des liens nouveaux. Il est évident que ce type de monnaie, où le paiement par contact, où le téléphone portable devient support préférentiel de paiement, où les réseaux bancaires sont court-circuités et leurs frais avec, où enfin, les paiements de pairs à pairs sont possibles sur des distances longues instantanément et en toute sécurité, ne fera pas plaisir aux "gens du système classique"... encore que... il ne faille pas prendre les banques et leurs animateurs pour des abrutis passéistes... Mais voilà qu'on se met à penser qu'il existe d'autres besoins que consommer: acheter des actions ou des produits financiers, des comptes à terme et sur livret, épargner en d'autres termes. Comment fait-on si on pose comme principe que ces fameuses monnaies cryptées, territoriales ou électives sont destinées à la consommation avant tout et surtout à la consommation à très court terme? C'est alors qu'on entre dans l'univers de la monnaie "spéculative", celle qu'Aristote n'aimait pas du tout. Quand on précise qu'on entre dans "un univers" c'est explicitement qu'on en quitte un et qu'on entre dans un autre. C'est le temps qui est ici à l'œuvre et la monnaie dont on parle n'est plus celle qui se résout en quelques minutes d'une cigarette ou en deux minutes d'un tube à la mode ou en quelques heures d'un poisson pané surgelé, ou même en quelques kilomètres d'un plein de réservoir. Ce temps qui vient tout modifier au point qu'il faut une nouvelle monnaie, il est soit défini, et s'exprime en durée et en duration, ou bien il est indéfini, il est sédimentation, accumulation lente de valeur.

Publicité
Publicité
Commentaires
Electron sauvage
Publicité
Archives
Publicité